Voilà dix-sept ans que j’apporte mon expertise dans toutes sortes d’entreprises. Certaines sont françaises, mais comme l’Alsace est une terre particulièrement accueillante pour les entreprises étrangères, j’ai très souvent l’occasion de travailler pour des entreprises allemandes, suisses, américaines, finlandaise, etc. Ces entreprises présentent un intérêt particulier parce qu’elle sont un lieu de rencontre, voire de confrontation, de différentes cultures professionnelles, de différentes cultures du travail. Parmi ces différences, il en est une qui est caractéristique forte du rapport que, nous français, entretenons avec le travail : le présentéisme ou, pour être plus précis, le présentéisme « stratégique ».
Présentéisme kesako ?
Beaucoup connaissent ce comportement qui consiste, pour un salarié, à rester, délibérément, tard au bureau ou à son poste de travail. Cette manière d’être est d’abord considérée comme un signe d’investissement, d’implication, d’abnégation au service de son entreprise. C’est une façon de se mettre en avant face à sa hiérarchie, de montrer sa valeur.
Dans le même temps, être présent tard sur son lieu de travail est aussi l’occasion de rencontrer la hiérarchie, de « réseauter », de faire des connaissances et de tisser sa toile. De fait, ceux qui restent tard ne sont pas très productifs.
L’hyper connectivité professionnelle que je condamne régulièrement dans ce blog est sans doute le dernier avatar de ce présentéisme, même s’il n’en est pas la seule cause. Traiter ses mails le soir, chez soi, le weekend ou pendant ses congés est aussi une façon de montrer son investissement, son implication, son abnégation. Je me demande d’ailleurs parfois si certains ne programment pas délibérément l’envoi différé de mail tard le soir ou le weekend.
Une maladie française
Cette maladie est bien française et quand je travaille dans une entreprise étrangère, je pose très régulièrement la question des horaires de travail dans la maison mère. Je l’ai fait encore ce matin dans une entreprise à capitaux allemands, hier dans une entreprise américaine, il y a quelques jours dans une entreprise finlandaise et, il y a quelques semaines dans la filiale française d’un groupe industriel suisse. Pour montrer l’inanité de ce comportement, je demande ce qu’il se passe quand, de France, on appelle le siège du groupe vers 16 h 30 heure de ce siège. Dans l’immense majorité des cas il m’est répondu que le téléphone sonne dans le vide. Pire, quand on appelle un de ses managers sur son portable en dehors des heures de bureau il est très rare qu’il décroche ! Dans la plupart des cas, il laissera agir sa messagerie et rappellera…. le lendemain.
Un salarié m’a même raconté qu’il y a quelques années, alors qu’il venait d’être muté dans la société sœur de la sienne en Allemagne, son supérieur hiérarchique, allemand, avait, au bout de trois semaines, provoqué un entretien pour évoquer une éventuelle incapacité organisationnelle : notre compatriote avait exporté le présentéisme et était resté à son bureau après 18 heures tous les soirs. En France, s’il était parti à la même heure que son chef allemand (16 h 30 – 17 h) on lui aurait demandé s’il avait pris son après-midi !
Le présentéisme c’est moins bien travailler
Le paradoxe c’est que ce comportement ne bénéficie pas à notre économie. On pourrait en effet se dire que ces heures de travail supplémentaires devraient avoir un impact sur la performance économique de notre pays. Or, les économies, allemandes, suisses, américaines, n’ont pas la réputation d’être en retrait par rapport à l’économie française.
En fait, on commence à se rendre compte que le présentéisme est contreproductif. Une étude menée par Ron Goetzel, chercheur à l’université Cornell aux Etats-Unis et citée par Ami Kahn dans « Le Monde » indique que le présentéisme « dégrade la productivité d’une équipe. Le salarié abusivement présent finit par pêcher par manque de concentration, piètre communication, travail à refaire. « Les coûts liés au présentéisme représentent de 18 % à 60 % des coûts qu’un employeur doit supporter en raison des des problèmes de santé des salariés » décrit R Goetzel.
Et vous ? A quelle heure retrouvez les gens que vous aimez ? A quelle heure quittez-vous le bureau ?