J’ai déjà eu de nombreuses occasions d’évoquer le phénomène de l’urgence dans ce blog. Dans cet article, je voudrais partager avec vous une (toute petite) partie de l’analyse que propose Nicole Aubert dans son livre « Le culte de l’urgence » (chez Flammarion). Un passage de cet ouvrage évoque notamment l’urgence en tant que construction mentale.
Construction mentale
Ce passage nous dit que si une part de l’urgence subie quotidiennement est « fabriquée » par l’entreprise, « elle peut aussi l’être par l’individu, de façon consciente […] mais aussi inconsciente. Il s’agit alors d’une urgence intérieure, […] qui rentre en résonnance avec l’urgence extérieure et en démultiplie les effets. L’urgence devient alors une construction mentale, c’est-à-dire que la personne n’évalue pas la situation à l’aune de critères objectifs, mais selon une problématique intérieure qui déforme son appréciation de la situation. […] l’individu tire alors du fait de travailler dans l’urgence permanente ce que l’on appelle en psychanalyse des « bénéfices secondaires », qui peuvent le conduire à une forme d’aliénation dont il n’est pas forcément conscient ». Plusieurs explications à cela.
Manque d’assertivité
« L’assertivité en psychologie, désigne la capacité d’exprimer à l’autre son désaccord ou les reproches que l’on a à lui faire d’une manière ferme, sans agressivité, sans tension, sans s’énerver ni manifester d’émotion excessive. […] Mais, de cette capacité, certains semblent totalement démunis et réagissent en « prenant » toujours davantage, en chargeant leur barque toujours plus. Le déséquilibre est alors manifeste entre la quantité de tâches et d’urgences absorbées au prix d’une surcharge personnelle épuisante et l’enjeu réel représenté par les urgences ou les tâches en question. […] « Prendre » l’urgence, charger sa barque sans déléguer ce qui pourrait l’être ni restituer l’urgence dans ses véritables enjeux, constitue ainsi, dans certains cas, un symptôme d’autre chose, comme la quête d’une garantie à soi-même de sa propre compétence : « Tant que je peux en prendre toujours plus, ça veut dire que je ne suis pas encore dépassé ». »
Démonstration de sa propre supériorité
« Ce peut être aussi une forme de démonstration que l’on se fait de sa propre supériorité ou de sa propre puissance. [..] L’image de soi est centrale dans cette affaire et les choses se jouent aussi, souvent contre les apparences, en termes de pouvoir et de puissance personnelle comme si, de cette surcharge que l’on s’impose à soi-même, de cette impossibilité de refuser ce dont on se plaint, on tirait en fait un bénéfice secondaire : celui de l’assurance qu’on est indispensable et, par la même, la démonstration de sa propre supériorité et la justification de sa propre existence. […]
Tant que mon agenda est plein c’est que je suis vivant
« Mais les choses peuvent aller plus profond encore et mettre en jeu une angoisse plus fondamentale, celle de mourir sans avoir vécu, sans avoir fait quelque chose de sa vie. Le vide de l’action est alors synonyme de mort, renvoyant à la vacuité d’une vie non accomplie, comme si on n’avait pas rempli un contrat implicite, celui de devoir donner un sens à son existence. Le tourbillon d’activités fait alors fonction de sens à lui seul, l’urgence et la surcharge qu’elle implique rassurant plutôt qu’elles n’angoissent : « Aussi longtemps que j’aurai tant de choses à faire, que mon agenda sera plein, que je serai ainsi sollicité sans cesse et toujours plus, je ne pourrai pas mourir, je suis vivant à jamais » ».
Et vous ?
Et vous ? Quelle est la réalité de l’urgence dont vous vous plaigniez ? S’agit-il d’une réelle pression de votre entourage professionnel ? Ou n’osez-vous pas signifier aux autres que la barque est pleine et que vous ne pouvez assumer plus de travail ? Voire ne cherchez-vous pas un de ces « bénéfices secondaires » dont nous parle Nicole Aubert ?
En tout cas, la réflexion proposée est cohérente avec ce que je rencontre dans les entreprises avec lesquelles je travaille. Une part de l’urgence est exogène, générée par l’organisation et ses partie prenante, mais une autre part est endogène, construite par l’individu à partir de critères non-objectifs.